14.5.04

'On veut du bien' ne suffit plus

{Ceci est la suite de La délusion de l'Exceptionalisme]

Il y a deux semaines, j'étais prêt à déclarer que, malgré mon opposition à la guerre en Irak et au président Bush, on ne devait pas quitter hâtivement le pays. Nous Américains, on se baptisait libérateurs saints et cela nous obligeait à rester jusqu'à la mise en place d'un Irak stable. J'avais l'intention d'écrire, mais deux événements sont intervenus par la suite.

J'ai lu dans le USA Today un article selon lequel: Seul le tiers des Irakiens croit actuellement que l'occupation dirigée par les Américains fait plus de bien à leur pays que de mal, et une forte majorité sont en faveur d'une retraite militaire immédiate même s'ils craignent que cela pourrait leur être encore plus dangereux; ça d'après un nouveau sondage du USA Today et Gallup.

J'avoue mon scepticisme général envers les sondages mais ceci est un grand coup contre la croyance, "Une retraite immédiate serait une trahison envers le peuple irakien."

Et puis, il y a avait ces terribles images des abus de prisonniers, ce qui était un attentat incalculable contre la réputation des Américains. Certains Américains se contentent de dire: "Les abus sont moins barbares que ceux perpétrés par Saddam." Je n'imagine pas que le slogan "On est moins barbares que Sadddam" leur convaincrait de notre bonne foi.

Oui, les Etats arabes qui offrent leurs larmes de crocodile font de pires choses à les leurs. Mais le nombre croissant d'accusations sapent les efforts de reconstruire l'Irak. Notamment, les accusations selon lesquelles les abus sont plus systématiques qu'on ne veuille avouer.

Le Washington Post a cité des sources issues de la Croix rouge qui disent: certains officiers militaires du reseignement estiment que 70 à 90 pour cent des 'personnes privées de leur libertés étaient arrêtés éronnémment." Des 43.000 Irakiens détenus au cours de l'occupation, seuls 600 ont été traduits devant la justice irakienne, selon des sources américaines.

Je sais que la brume de la guerre provoque beaucoup de confusion. Mais plus d'un an après la fameuse "mission accomplie" du président Bush, moins de 1,4 % des détenus ont même commencé leur course de la justice.

Le Post a cité d'anciens prisonniers, avocats irakiens, militants de droits de l'homme et la Croix rouge pour conclure: Les problèmes dans les centres de détention gerés par les Américains dépassent le maltraitement physique dans les cellules et comprennent de milliers d'arrestations sans évidence de malfait et abus de suspects à compter des premiers moments de détention... les forces américaines ont systématiquement arrêté les Irakiens et ensuite les a privés de certains ou tous leurs droits garantis par les Conventions de Genève pendant les mois d'incarcération, y compris les droits à une représentation légale et aux visites familiales.

Seuls quelques éléments rogues? Il ne le semble pas.

(Et la Croix rouge est loin d'un organisme partisan. En fait, elle a subi pas mal de critiques, depuis des années, accusée d'être TROP neutre)

Il va sans dire que le secrétaire de la Guerre Donald Rumsfeld devrait démissioner. Il en est responsible parce que...

-Ces abus ont été signalé aux officiers supérieur dès le 13 janvier mais rien ne s'est passé avant l'explosion de la tempête médiatique.

-Un porte-parole du CICR a dit à la BBC qu'il avertissait les Américains de l'existence de tels cas depuis plus d'un an et rien ne s'est passé avant l'explosion de la tempête médiatique.

-Les procédures inventées par le secrétaire a créé le climat d'impunité qu'ont exploité ces soldats.

Les tortures ont eu lieu à cause d'un "absence de leadership, manque de discipline et d'entraînement et aucun contrôle." Cette critique a été fait non par un partisan démocrate ou un gauchiste virulent, mais par le général de division Antonio M. Taguba, auteur du rapport du Pentagone qui a trouvé de nombreux "abus sadistes et criminels" au centre de détention américaine près de Bagdad.

En donnant des leçons aux Irakiens sur les ondes d'une télévision arabophone, le président Bush a dit, "On se retrouve aux côtes des Irakiens épris de la liberté. Mais les gens répondront pour les actes. C'est ça le processus. C'est ça qui se fait en Amérique. On enquête, on publie les résultats de l'enquête et les gens auront des comptes à rendre." Qu'il fasse preuve de ces sentiments!

Mais même l'éventuelle démission de Rumsfeld, bien qu'une bonne idée, ne résoudrait pas les problèmes fondamentaux de l'Irak.

Pour le moment, mettons à côté les sentiments personnels envers l'administration Bush. Je crois sincèrement que la plupart de nous Américains (les 70 % qui était alors pro-guerre et même nous 30 % qui était contre) préférerions un Irak stable et démocratique plutôt qu'un Irak qui sombre dans le chaos.

Nos intentions sont bonnes. Mais il faut adresser les conséquences de nos actions.

Même si on agréeait la guerre, même si on croit que l'Irak actuel est meilleur que l'Irak de Saddam, je pense qu'on doit se poser une question: a-t-on atteint le point où on fait plus de mal, même par inadvertance, que de bien?

Je ne suis pas convaincu que cela soit encore le cas, mais on semble se diriger dans le mauvais sens. Malgré tout, la question ne devrait pas être taboue.

Malheuresement, la question EST taboue. Pour certains gens, une retraite égale l'aveu que la guerre était une mauvaise idée. Si on était pro-guerre, on peut entamer une retraite sous le prétexte qu'on a fait tout ce qu'on peut et qu'il est donc temps de quitter.

La question ne peut plus se poser par la dichotomie simpliste: statu quo ou retraite immédaite et compréhensive. Si les Américains comptent rester, les choses devraient s'améliorer et vite. Comment va-t-on y arriver? Peut-on y arriver?

On a usé de trop d'énergie en défendant ou attaquant rétrospectivement la décision de faire la guerre. On a usé de trop peu d'énergie en essayant de concevoir des solutions à la situation actuelle. On s'occupe trop du passé et trop peu de l'actuel.

Oui, je pense que l'invasion était une mauvaise idée; elle est devenue une mauvaise idée mal exécutée. Oui, les événements vindiquent les partisans anti-guerre. Les événements démontrent que les anti-guerre n'étaient pas tous imbéciles, fatalistes ou apaiseurs. Parce que de tout ce qui se passe en Irak, RIEN n'était imprévisible.

Oui, j'espère que la situation actuelle sert d'avertissement lors de la prochaine fois qu'on songe à envahir un petit pays qui ne nous a jamais rien fait. Mais le fait d'avoir raison ne me rassure point lorsque je vois des soldats américains torturer des Irakiens. Le fait d'avoir raison ne me rassure point lorsque je pense à l'homme qui a dû voir son frère décapité à la télé.

La plupart des Américains préféreraient un Irak libre et démocratique. Je le crois sincèrement. Les Américains doivent donc se demander si les actions entamées en Irak (en leur nom) peuvent parvenir au résultat que tous insistent désirer. Je n'ai pas de bonnes solutions.

Pour faire du progrès, nous Américains devrions comprendre qu'une simple déclaration de bonnes intentions n'est pas un vaccin qui nous immunise, qui nous empêche de réflichir bien sur les conséquences de nos actions. Si les VRAIES conséquences sont contraires aux conséquences VOULUES, ces bonnes intentions ne valent absolument rien.

Le simple fait de dire "On veut du bien" ne suffit plus.

13.5.04

La délusion de l'Exceptionalisme

Toute vertu correspond à une faiblesse. La patience est capitale dans la plupart des sociétés africaines. Mais, elle peut devenir une faiblesse. Trop de patience risque de pousser les gens à accepter les choses qu'ils ne devraient pas accepter. Ils sont si patients, ils tardent à réagir à l'injustice. Ils s'y adaptent.

Les Américains, par contre, ont une forte confiance en soi. Ceci s'appelle l'Exceptionalisme américain. Nous, on ne se croit pas grands; on en est certains. Et en tant que tel, on s'attend à agir comme une grande puissance. La modesté et la réflexion ne font pas partie de notre langage national.

Cet Exceptionalisme nous entraînait à gerer le combat contre l'expansionisme soviétique (et ne vous trompez pasL l'URSS croyait au même impérialisme dont elle accusait les Etats-Unis d'être coupables). Il y avait sans doute des abus et des cas de mauvais jugements, comme je l'avais dit. Même s'ils détestaient les excès, la plupart des gens dans les pays occidentaux acceptaient les Etats-Unis comme leader imparfait des 'chapeaux blancs' lors de la Guerre froide. Il n'est pas un accident que, depuis la chute du Mur de Berlin, la plupart des pays est-européens se soient rapprochés des Américains en matière de politique internationale.


Cet Exceptionalisme nous entraînait également dans les guerres ridicules, comme au Vietnam. Cet Exceptionalisme nous poussait à apporter un soutien aveugle aux régimes odieux. Le Chili de Pinochet, le Zaïre de Mobutu, l'Afrique du Sud sous apartheïd, la junte génocidaire guatémaltèque et le régime de Saddam, également génocidaire. On expliquait tout abus, excès et erreur de jugement avec un rappel de nos 'bonnes intentions.'

Et ça contnue aujourd'hui. La Maison de Saud, qui coupe les mains aux voleurs. l'Egypte (2e récipendaire de l'aide américaine), qui lancent des purges contre des homosexuels. L'Erythrée, l'un des cinq pires pays du monde pour la liberté de la presse (encore pire que l'Arabie saoudite, la Lybie et la Syrie). L'Ouzbekistan, où la police secrète bouillit ses prisonniers vivants. Tous ces pays sont des alliés proches ou font partie de la soi-disant Coalition des volontiers pour la liberté.

Mais les Etats-Unis ont de bonnes intentions et oeuvrent pour la liberté, donc avoir de tels compagnons de lutte, c'est pas grave. Notre Exceptionalisme et la certainité messianique qu'il implique nous rendent aveugles aux conséquences de nos actions.

Je viens de terminer la lecture du roman formidable The Quiet American (L'Américain silencieux) de Graham Greene. Ce classique explore les rapports difficiles entre un vieux journaliste britannique (du nom de Fowler) qui couvrait la guerre française en Indochine et un jeune Américain attaché militaire (Pyle) dépêché au Vietnam afin de promouvoir une 'troisième force': ni française ni Vietminh. Fowler était l'Européen: vieux, dur et cynique; Pyle, l'Américain: jeune, idéaliste, naïf. Fowler a dit de Pyle, "Je n'ai jamais connu un homme qui avait de meilleures intentions pour toutes les troubles qu'il a provoquées."

Je ne me décris pas comme gauchiste ou socialiste ou écologiste ou quoi que ce soit. Je refuse d'être esclave à une idéologie. Je veux que l'idéologie serve ma conscience et mes croyances, non vice versa. Au cours de l'Histoire, trop souvent les gens ont laissé leur idéologie les rendre aveugles aux conséquences humaines de cette idéologie.

Certains minimisent ces conséquences comme 'malheureuses mais nécessaire.' Mais si un mouvement se considère capable de sacrifier la vie ou le bien-être de quelques personnes, la vie et le bien-être de toute personne sera donc menacée. Une idéologie devrait être au service du peuple, non vice versa.

Le plus souvent, une stricte adhérence à l'idéologie échoue pour une raison très simple: l'absolutisme marche très bien en théorie mais très mal en pratique. Certaines théories réussissent dans de petit lieux bien contrôlés mais s'adaptent mal à la grande échelle. Toute idéologie qui ne tient pas compte de la nature humaine est vouée à l'échec. C'est pourquoi le communisme était excellent en théroie mais un désastre en réalité.


Les Américains sont choqués par les images des prisonniers irakiens humiliés et torturés par les soldats américains. Pourquoi choqué? A cause de leur croyance à l'Exceptionalisme.


Les soldats tuent. Ils font exploser les choses. Ils peuvent faire d'autres choses, mais ce sont deux des principales activités qui leur sont propres. Pour être un soldat de combat, il faut beaucoup d'adrénaline. Dans des situations de combat, on va tuer un ennemi s'il y a la moindre possibilité qu'il peut vous tuer. On est hypersensible au danger, sens en alerte, pris d'une paranoïa justifiée.

Je suis certain que j'agirais de même dans une pareille situation. Et c'est ça le point. Une personne dans une situation extrême se comportera d'une manière extrême. Le métier de soldat est différent du métier de danseur. Le travail d'un soldat de combat n'est pas de créer mais de détruire. Il peut être nécessaire, mais la société ne devrait se faire aucune illusion quant à la nature du travail.

Un article dans The Sydney Morning Herald d'Australie soulignait:

En 1971, des chercheurs fabriquaient un prison simulé dans un bâtiment du campus de l'université Stanford. Ils assignaient par hasard 24 étudiants d'être soit gardiens de prison, soit prisonniers, pendant deux semaines.

En quelques jours, les 'gardiens' devenaient arrogants et sadistes. Ils couvraient les têtes des prisonniers avec des sacs, exigeaient que les prisonniers se déshabillent entièrement et les encourgaient à faire des actes sexuels.


Adrénaline. Hypersensiblité. Ajouter la mentalité de groupe, des armes à feu, un contrôle absolu sur les détenus et la brute sauvagerie de toute guerre.

Soyons honnêtes. Est-il vraiment surprenant qu'ils seraient ivres de pouvoir, qu'ils humilieraient les prisonniers qu'ils voyaient comme de vilains défenseurs de l'Axe du Mal?


Ce n'est surprenant que si on croit à l'Exceptionalisme. Ce n'est surprenant par la croyance chauviniste que les lois de la nature ne s'appliquent pas aux Américains.

Ce qu'on voyait dans les images, c'est dégoûtant et indigne. Ce n'est pas surprenant.

L'indiganation populaire s'est montée pour une seule raison: quelques soldats était si stupides qu'ils filmaient les abus. Sauf qu'ils n'étaient pas stupides. Ils étaient orgueilleux. Ils avaient trop de pouvoir et, comme toujours, un excès de pouvoir implique un sentiment d'impunité. Et l'impunité aurait continué si les images n'étaient pas diffusées par la presse.

Tout pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument.

[à suivre]

Commentaires

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NB-Je reconnais des ennuis avec les images qui font partie de ma série sur le Rwanda. J'en ignore l'origine.